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Effarée de ce qu’elle constate sur le terrain, un médecin de PMI en Ile de France a décidé de poster sur Youtube une vidéo dans laquelle elle alerte sur la sur exposition massive des très jeunes enfants aux écrans. Elle en est convaincue, cette consommation excessive induit chez les 3-4 ans des troubles très semblables aux troubles du spectre autistique. Nous l’avons interviewée. 

Le monologue face caméra dure 21 minutes et il est stupéfiant. Anne-Lise Ducanda, médecin de PMI en Ile de France a mis en ligne la semaine dernière sur Youtube, avec une de ses collègues, le docteur Isabelle Terrasse, une vidéo édifiante (ci-dessous) dans laquelle elle établit un lien direct entre la surconsommation d’écrans et l’augmentation des troubles du spectre autistique (TSA) chez les enfants de 3-4 ans.

Augmentation exponentielle des cas d’enfants présentant des troubles du spectre autistique

Le Dr Ducanda explique au début de son exposé que « ces 5 dernières années, les enseignants nous demandent de plus en plus de voir des enfants qui présentent des retards de développement, des troubles du comportement et des troubles du spectre autistiqueElle décrit des « enfants dans leur bulle, qui ne répondent pas à leur prénom, indifférents au monde qui les entoure ». Ils ne jouent pas avec les autres, parlent en écholalie, ne comprennent pas des consignes toutes simples, sont inhibés ou au contraire très agités, intolérants à la frustration, parfois agressifs, ils battent des ailes avec leurs mains, regardent fixement une vitre ou la lumière. « Il s’agit de stéréotypies », précise-t-elle avant de poursuivre : la triade « trouble de la communication, trouble des relations sociales et stéréotypie » signifie TSA ou TED (Troubles envahissants du développement). Sur 500 enfants d’une même classe d’âge dans sa ville, 25 enfants présentent ce tableau soit un sur 20.
« Oui, je parle de troubles autistiques parce que c’est ce que je constate, c’est ce que le terrain me renvoie, justifie le médecin au téléphone. Je ne suis pas chercheur, c’est de l’empirique. »
Dès qu‘un enfant est signalé par l’école, Anne-Lise Ducanda le reçoit, fait un retour au directeur d’école et décide avec lui s’il y a lieu de réunir une équipe éducative, composée en général de la famille, l’enseignant, le directeur, le psychologue scolaire, le médecin de PMI, les partenaires qui connaissent l’enfant. « Il y a quinze ans nous organisions une quinzaine de ces réunions par an. Nous sommes au mois de mars et nous en avons déjà organisé 41, 25 autres sont déjà planifiées jusqu’en juin et nous en aurons 80 environ pour cette année scolaire, soit 5 fois plus. » Elle précise aussi que l’enseignante référente auprès de la Maison Départementale des Personnes Handicapées (MDPH) est censée être présente chaque fois qu’un dossier MDPH est demandé ou constitué. Mais, tellement débordée, elle ne peut plus se déplacer à chaque fois.
«C’est une évidence : on me signale de plus en plus d’enfants en grande difficulté. Ca monte de partout. Tous les professionnels de la petite enfance le constatent : les enseignants, les orthophonistes, les personnels des haltes garderies, disent la même chose. Dans les écoles je n’ai absolument plus le temps de faire des visites médicales de routine pour les enfants qui vont bien, je ne vois que des enfants qui vont mal.» Le médecin ne parle pas que de retards de développement mais bien de symptômes clairement décrits dans la nosographie relative à l’autisme.
« Et je n’ai rien changé depuis 15 ans dans mes critères de diagnostic, assure-t-elle. Nous avons grosso modo le même nombre d’enfants et le même nombre d’écoles. » Cette précision est importante dans la mesure où l’explosion de cas d’autisme dans les pays occidentaux ces dix dernières années est en général expliquée par les dépistages plus précoces et une modification de la classification des symptômes : des troubles qui auparavant n’étaient pas considérés comme relevant de l’autisme sont désormais inclus dans les TSA (à ce sujet voir l’article de Franck Ramus, chercheur au CNRS et à l’ENS et cet article de Jessica Wright qui vient de paraître sur Spectrum, site américain d’information sur l’autisme). Pour le médecin, le dépistage plus précoce et les changements de classification ne peuvent pour autant pas expliquer l’explosion des cas sur son secteur.

Des enfants exposés 6 à 12 heures par jour aux écrans

A côté des causes génétiques et neuro-développementales (et du potentiel effet des polluants chimiques de plus en plus étudié), Anne-lise DUCANDA demande qu’on se concentre sur une nouvelle piste pour comprendre l’origine de l’autisme et son augmentation exponentielle, piste qui ne s’oppose d’ailleurs pas aux approches précédentes, et que son travail de terrain met en lumière tous les jours : l’exposition massive aux écrans des enfants de 0 à 4 ans. Elle estime qu’une sur exposition aux écrans empêche une stimulation adaptée et nécessaire  au développement du cerveau (manipulation de jouets, interactions humaines, etc…) et inhibe les connexions cérébrales. Elle est convaincue d’être confrontée à un autisme d’origine environnementale, induit par un environnement pauvre et inadapté. Et elle a des arguments.
Lorsqu’un enfant est signalé comme étant en difficulté, le Docteur Ducanda le reçoit longuement (avant l’équipe éducative donc) avec ses parents. En plus des éléments habituellement pris en compte ( antécédents ORL, prématurité, problème familial, etc…), Elle interroge ces derniers sur son exposition aux écrans depuis sa naissance. Pour elle le constat est sans appel : « Les enfants de 3-4 ans en grande difficulté signalés par les écoles sont quasiment tous exposés massivement aux écrans, de 6 à 12 heures par jour. Ils n’ont pas ou peu de jeux d’imitation. » Oui. Six à douze heures par jour. Il s’agit très souvent de foyers où la télévision est allumée en permanence et où l’enfant a accès depuis ses premiers mois au smartphone ou à la tablette. Où il est très peu stimulé dans le cadre d’interactions parents-enfant, où les mots qui lui sont adressés directement sont rares. «Je vois des enfants de deux ans capables de télécharger leur dessin animé préféré mais qui ne répondent pas à leur prénom. Ils présentent une certaine forme d’intelligence, (ou de « compétences visuelles »), mais elle est inadaptée. Ca trompe le parent, ce n’est qu’un automatisme cérébral. »

Un autre élément semble confirmer son intuition concernant les liens entre la surconsommation d’écrans et l’apparition de troubles du spectre autistique. Lorsque l’exposition aux écrans est réduite de façon drastique, les symptômes de l’enfant disparaissent. Anne-Lise Ducanda a donc modifié son appréhension du problème. Avant elle orientait les enfants en première intention vers un service hospitalier et/ou un CMPP /CMP. Dans la grande majorité des cas, un TSA était bien diagnostiqué et il était très rare de voir émerger une maladie génétique. Aujourd’hui elle essaie d’abord de convaincre les parents de modifier leurs usages des écrans, et surtout celui de leur enfant. « Désormais j’explore avant tout la piste des écrans, dit-elle dans sa vidéo. C’est ma première prescription, ma première recommandation.» Elle précise au téléphone : « je sais que je demande un sacrifice, un effort très important aux parents et je le leur dis. Je les assure aussi que ce n’est pas de leur faute. C’est très important de les déculpabiliser pour un phénomène qui les dépasse. »
A force de raconter autour d’elle ce qu’elle voyait, de constater l’incrédulité ou l’effarement suscités par ses propos, le Docteur Ducanda a donc décidé de réaliser cette vidéo pour alerter l’opinion publique, les professionnels et les parents, de l’ampleur du problème.

Des facteurs de risque économiques et sociaux mais un phénomène qui touche toutes les catégories sociales

Forcément, quand il est évoqué une télévision allumée en permanence, nous posons la question du niveau social des familles concernées. « Peut être y a t il plus de postes de télé, et plus d’heures de télé allumée et un peu moins d’autres activités et de sorties proposées chez les catégories socio-professionnelles basses, mais c‘est un phénomène qui touche tous les milieux sociaux. Même si, bien évidemment, il y a des terrains favorables à la surconsommation. : familles en détresse sociale et économique dont la seule ouverture vers l’extérieur est la télévision et qui vivent au gré des émissions du petit écran, télé qui permet de lutter contre l’isolement, et dans certains quartiers sensibles, de garder les enfants chez soi car l’extérieur est perçu comme « dangereux ». »

Elle poursuit: « Dans mon secteur je reçois beaucoup de familles d’origine étrangère avec un parcours de migration difficile et l’éducatif n’est pas la priorité quand il faut se battre pour obtenir un logement, une AME, un travail, et pour certains des papiers et de quoi se nourrir tous les jours…. L’isolement des mères favorise l’exposition aux écrans des enfants. Nombre d’enfants concernés sont d’origine africaine. Ces enfants vont d’ailleurs beaucoup mieux quand ils reviennent d’un séjour dans le pays d’origine où les interactions sont nombreuses et les écrans limités. Il est possible que ma ville soit plus touchée que d’autres. Mais j’ai des retours de professionnels de villes très aisées qui assurent constater la même chose que moi. Je vois aussi des familles de profession intermédiaires ou de cadres avec un écran allumé toute la journée. Comme il existe de plus en plus de types d’écrans, ça touche tout le monde. La tablette et le smartphone ont une connotation « nouvelles technologies » très valorisante. L’enfant sur la tablette ou le téléphone parait « doué, en avance » et vivre avec son temps… » Dans la mesure où la prévalence de l’autisme est plus élevée chez les garçons et où l’on connaît de mieux en mieux la plus grand sensibilité des garçons aux facteurs environnementaux, nous posons aussi la question du genre : les petits garçons sont-ils plus touchés par le phénomène constaté par le médecin ? Elle répond sans hésiter : oui, assurément.

La parentalité mise à l’épreuve

Le problème des écrans c’est qu’ils sont addictifs, expose-t-elle. Les enfants habitués à leur usage et qui en sont soudainement privés, hurlent, piquent des crises. « Il faut que le parent ait beaucoup d’énergie pour résister. Le curseur est déplacé. Les parents qui ont déjà tendance à ne pas poser de limites vont lâcher prise, ceux qui ont une forte volonté éducative vont peut-être tenir mais ceux qui sont entre les deux vont avoir du mal à limiter les écrans, et donc plus l’offre d’écrans augmente, plus il y a d’enfants devant. C’est plus difficile d’élever des enfants aujourd’hui dans ce contexte. La volonté parentale est bien davantage mise à l’épreuve. Un exemple parmi d’autres : je reçois le papa d’un petit garçon en grande difficulté. Je lui demande :combien de temps fait il de la tablette à chaque fois ? Lui :  30 minutes puis il arrête. Moi : mais comment vous faite pour qu’il arrête ? Lui : Je lui donne mon téléphone. Moi : Combien de temps en fait il ? Lui : 30 minutes puis il arrête. Moi : mais comment vous faites pour qu’il arrête ? Lui : je le mets devant la télé. Etc…La seule solution pour le papa de décrocher son fils d’un écran était de lui en donner un autre
Elle l’assure, toutes ces familles ne peuvent pas s’en sortir seules. « Il faut des aides éducatives, lutter contre l’isolement des mères et commencer la sensibilisation dès la maternité ».

Au moment où le débat est toujours très intense quant aux effets réels et non fantasmés des nouvelles technologies sur le développement des enfants, ce témoignage ébranle. Nous avions relayé les échanges entre chercheurs via des lettres ouvertes publiées sur le site du Guardian. Certains d’entre eux reprochaient aux plus alarmistes de ne pas apporter de preuves suffisamment robustes quant à la nocivité des écrans. Tous reconnaissent qu’il existe une littérature conséquente sur les effets délétères d’une consommation abusive de télévision, mais que les données (et le recul) manquent quant aux tablettes et écrans mobiles. La recherche montre pour le moment que l’effet des écrans est très corrélé à d’autres facteurs de risque, au premier rang desquels le niveau socio-économique de la famille. Anne-Lise Ducanda, elle, plaide pour qu’en effet des études sérieuses soient menées. Elle propose aux journalistes comme aux chercheurs de venir assister à ses consultations et de voir de leurs propres yeux ce à quoi elle est confrontée de plus en plus souvent : des enfants coupés du monde, avec des signes en tout point identiques aux troubles autistiques.

source  : gynger.fr

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