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Punir et effacer

Le cyberespace renforce la sensation d’impunité. Déconnectés physiquement de leurs victimes, les jeunes harceleurs sont dégagés de toute culpabilité, ne voyant pas l’effet de ce qu’ils disent produit sur l’autre. Myriam savait qui la harcelait, mais n’a jamais pu dénoncer personne car les commentaires et les piratages étaient anonymes. « Je ne pouvais pas les accuser sans preuves » dit-elle.

Le cyber-harcèlement fait participer des jeunes qui n’auraient pas harcelé de manière classique « tout simplement car ça ne coûte rien de taper trois insultes et de cliquer pour liker une image dégradante ». D’après Catherine Blaya, interviewée sur France Inter, ces actes de cyber-harcèlement sont le fruit de « l’effet cockpit ». Cette expression, utilisée lors de la Seconde Guerre Mondiale, désignait la facilité des soldats à larguer anonymement des bombes depuis des avions. « Ils n’avaient pas l’impression de lâcher des bombes sur des êtres humains » explique-t-elle. Sous couvert d’anonymat, et seuls derrière leurs écrans, les jeunes n’ont pas l’impression de s’attaquer réellement à des personnes ou bien ont plus de facilité à le faire.

« Quand il y a un problème de légalité, nous orientons les victimes vers la police ou la gendarmerie ». Depuis la loi du 4 août 2014 sur l’égalité homme-femme, le harcèlement est puni et le cyber-harcèlement en est une circonstance aggravante. Dès lors, les harceleurs risquent la privation de liberté et des amendes. « Quand les harceleurs ont moins de 13 ans, c’est compliqué car ce sont les parents qui sont responsables dans le cadre des dommages et intérêts ». Des mineurs sont actuellement poursuivis pour cyber-harcèlement dans le cadre d’affaires comme celle de Marion Fraisse ou de Matteo, « mais comme les affaires n’ont pas encore été jugées, nous ne savons pas ce qu’il adviendra ».

En attendant, les harceleurs risquent déjà des sanctions au niveau scolaire dans leurs établissements. Cela va des punitions aux exclusions temporaires voire définitives. « C’est une bonne chose, car pendant longtemps c’est aux enfants harcelés qu’on conseillait de quitter les établissements. Les harceleurs restaient et ils recommençaient sur d’autres victimes ».

Lorsqu’un cas de cyber-harcèlement est détecté et avéré, il faut en supprimer les traces tout en prenant en charge les harceleurs et la victime. C’est ici qu’interviennent des plateformes comme le numéro Net-écoute, la CNIL (Commission nationale de l’informatique et des libertés) ou e-Enfance :« Nous travaillons en partenariat avec Facebook, Instagram, Whatsapp, Google, Youtube, Twitter, Ask etc. Les gens peuvent nous appeler s’ils ont quelque chose à supprimer et que ça n’a pas été fait après l’avoir signalé sur la plateforme concernée. Nous transmettons au réseau social concerné qui supprime le contenu indésirable dans les heures qui suivent, nos demandes montent en haut de la pile. Nous pouvons également faire fermer les comptes des harceleurs » raconte Justine Atlan.

e-Enfance a recours à ce genre de procédure seulement pour des cas graves nécessitant une intervention urgente. « Nous avons surtout vocation à aider les gens à signaler eux-mêmes car souvent ils ne savent pas le faire, à leur expliquer ce qui est légal et ce qui ne l’est pas. Nous effectuons une mission de pédagogie qui est de transmettre aux gens les bonnes pratiques pour qu’ils deviennent autonomes dans leur usage d’internet ». Malgré tout Internet n’oublie jamais vraiment, et pour le service juridique de la CNIL : « Les cas de suppressions de données sont extrêmement rares, c’est en dernier recours ».

Supprimer les traces passe aussi par le volet psychologique, le harcèlement laisse des séquelles aussi bien à la victime qu’au harceleur : « Un suivi des deux parties doit être opéré. Nous devons responsabiliser les jeunes et leur faire comprendre les enjeux de leurs actes. Il y a l’urgence de traiter la victime mais après il faut aussi s’occuper du harceleur si on ne veut pas qu’il continue. » Aujourd’hui, Myriam est étudiante en géopolitique et a mis ce mauvais souvenir derrière elle. Pourtant, cette période a été traumatisante : « Cette expérience m’a vraiment affecté et m’a rendue très méfiante envers les autres, j’ai beaucoup perdu confiance en moi. »

Pour Justine Atlan, le fait que le cyber-harcèlement soit répréhensible par la loi est bénéfique : « Pour des enfants un peu caïds qui se croient tout permis sur Internet, se retrouver face à un policier ou un gendarme va leur rappeler ce qu’ils risquent. »

Le cyber-harcèlement n’étant pas localisé, il est difficile pour les différents acteurs que sont les jeunes, l’école et les parents de le régler. Se rejetant souvent la faute les uns sur les autres, comme dans le cas Marion Fraisse dans lequel Nora Fraisse accuse directement l’école de négligence. Les solutions proposées par la loi restent maigres et l’école, dépassée, fait ce qu’elle peut pour endiguer le phénomène. Le fond du problème est le manque cruel d’éducation à Internet de toute une génération de parents et de professeurs face à une génération d’élèves née avec mais qui n’en perçoit pas les dangers.